18.02.2015
"Aujourd'hui se décide ce que sera le monde en 2050 et se prépare ce qu'il sera en 2100. Selon la façon dont nous agirons, nos enfants et nos petits-enfants habiteront un monde vivable ou traverseront un enfer en nous haïssant. Pour leur laisser une planète fréquentable, il nous faut prendre la peine de penser l'avenir, de comprendre d'où il vient et comment agir sur lui. C'est possible: l'Histoire obéit à des lois qui permettent de la prévoir ou de l'orienter.

La situation est simple: les forces du marché prennent en main la planète. Ultime expression du triomphe de l'individualisme, cette marche triomphante de l'argent, que ne fait qu'à peine ralentir la crise financière amorcée en 2007, explique l'essentiel des plus récents soubresauts de l'Histoire: pour l'accélérer, pour la refuser, pour la maitriser.

Si cette évolution va à son terme, l'argent en finira avec tout ce qui peut lui nuire, y compris les états qu'il détruira peu à peu, même les Etats-Unis d'Amérique. Nous vivrons successivement le déclin de la superpuissance américaine, puis le partage de l'ordre mondial entre plusieurs puissances régionales. Après quoi, devenu la loi unique du monde, le marché formera ce que j'appelle l'hyperempire, insaisissable et planétaire, créateur de richesses marchandes et d'aliénations nouvelles, de fortunes et de misères extrêmes; la nature y sera mise en coupe réglée; tout sera privé, y compris l'armée, la police et la justice. L'être humain sera alors harnaché de prothèses, avant de devenir lui-même un artefact vendu en série à des consommateurs devenant eux-mêmes artefacts. Puis l'homme, désormais inutile à ses propres créations, disparaîtra.

Si l'humanité recule devant cet avenir et interrompt la globalisation par la violence, avant même d'être libérée de ses aliénations antérieures, elle basculera dans une succession de barbaries régressives et de batailles dévastatrices, utilisant des armes aujourd'hui impensables, opposant Ã?tats, groupements religieux, entités terroristes et pirates privés. Je nommerai cette guerre l'hyperconflit. Il pourrait lui aussi faire disparaitre l'humanité.

Enfin, si la mondialisation peut être contenue sans être refusée, si le marché peut être circonscrit sans être aboli, si la démocratie peut devenir planétaire tout en restant concrète, si la domination d'un empire sur le monde peut cesser, alors s'ouvrira un nouvel infini de liberté, de responsabilité, de dignité, de dépassement, de respect de l'autre. C'est ce que je nommerai l'hyperdémocratie. Deux vagues à priori mortelles. Une troisième à priori impossible.

Sans doute ces cinq avenirs se mêleront-ils; ils s'imbriquent déjà. Je crois en la victoire, vers 2060, de l'hyperdémocratie, forme supérieure d'organisation de l'humanité, expression ultime du moteur de l'Histoire: la liberté."

Jacques Attali - extrait de l'intro de son livre "Une brève histoire de l'avenir" paru en 2009.