Spiritualité, la voie orientale
La voie orientale

Le plus souvent, lorsque l'on parle des religions en les comparant les unes aux autres, on se limite à comparer 3 religions qui n'en font qu'une, la "religion du Livre", dont les 3 branches successives (Judaisme, Christianisme et Islam) partagent les mêmes racines, les mêmes valeurs et la même vision du monde fondée notamment sur le dualisme et l'idée d'un dieu extérieur à l'homme.

Si on veut réellement découvrir d'autres visions du monde, il faut aller vers d'autres cultures qui ont développé des visions réellement différentes.

Des alternatives nous sont données par les multiples cultures animistes ou shamanistes, et par la spiritualité orientale dont il sera question ici...

 

La spiritualité orientale comprend différentes branches qui partagent en réalité les mêmes principes fondamentaux, et la même vision du monde, aux antipodes de la vision occidentale. Ses principales branches sont l'hindouisme, le bouddhisme, et le taoisme.

Les spiritualités orientales voient la réalité comme un tout, en mouvement, avec des éléments unis par des relations dynamiques.

Dans la vision occidentale, notre tendance à fractionner la réalité nous fait percevoir des objets individuels, séparés et fixes. Du coup, nous nous concevons nous-mêmes comme des objets isolés. Cette vision des choses correspond à l'état "d'ignorance" (ou "avidya") dans la philosophie bouddhiste.

Les spiritualités orientales mettent l'accent sur l'unité de l'univers et l'interdépendance de tous les phénomènes. L'illumination consiste à devenir conscients de cette unité et de la corrélation de toutes choses.

"Dans la conception orientale, la division de la nature en objects disctincts est une illusion. Tout a un caractère perpétuellement changeant et fluide. La vision orientale est intrinsèquement dynamique. Elle comprend comme caractéristiques essentielles le temps et le changement. Le cosmos apparait comme une réalité indivisible, éternellement mouvante, vivante, organique, spirituelle et matérielle à la fois. (...)

De même, l'image orientale de la divinité n'est pas celle d'un souverain dirigeant le monde d'en haut (contrairement à la religion du Livre et ses dérivés) mais d'un principe qui contrôle chaque chose de l'intérieur."

Fritjov Capra, "Le Tao de la physique"

 

Le livre du physicien Frijtof Capra "Le Tao de la physique" est une synthèse profonde, limpide et concise sur ces spiritualités orientales.

En voici quelques extraits, en commençant par la plus ancienne de ces spiritualités...

 

L'hindouisme

"La base de l'hindouisme est l'idée que dans leur multitude, les phénomènes autour de nous ne sont que les diverses manifestations de la réalité ultime. Cette réalité, nommée Brahman, est l'idée unificatrice qui donne à l'hindouisme son caractère essentiellement moniste en dépit du culte des nombreux dieux et déesses.

Brahman, l'ultime réalité, est entendu comme "l'âme" ou "l'essence intérieure" de toutes choses. Il est infini, et par-delà tous les concepts. Il ne peut être compris par l'intelligence, ni être décrit de façon adéquate par les mots. (...)

La manifestation de Brahman dans l'âme humaine est nommée atman, et l'idée qu'atman et Brahman (la réalité individuelle et la réalité ultime) ne font qu'un est l'essence des Upanishad: « Ce qui est la plus subtile essence, ce monde-ci tout entier, a cela pour âme, c'est la réalité. Cela est atman. Cela est toi. »

 

L'activité créatrice de la divinité est nommée lila, le jeu de Dieu, et le monde est perçu comme la scène du jeu divin. Comme la majeure partie de la mythologie indienne, le mythe de lila a une forte saveur magique. Brahman est le grand magicien se transformant lui-même en monde, et il accomplit cet exploit avec son pouvoir magique de création qui est la signification originelle de maya dans le Rig-Veda. (l'un des textes fondateurs de l'hindouisme)

Le mot maya, l'un des termes essentiels de la philosophie indienne, a changé de sens au cours des siècles. Du pouvoir de l'acteur divin, il en est venu à désigner l'état psychologique de quiconque est sous le charme du jeu magique. Aussi longtemps que nous confondons les myriades de formes du divin lila avec la réalité, sans percevoir l'unité de Brahman sous-jacente à toutes ces formes, nous sommes sous le charme de maya. (...)

Le monde de maya change continuellement car le divin lila est un jeu dynamique et rythmique. La force dynamyque du jeu est le karma, autre concept important de la pensée indienne. Karma veut dire action. C'est le principe actif du jeu, l'univers entier en mouvement, où chaque chose est en relation dynamique avec les autres.

Se libérer des liens du Karma signifie réaliser l'unité et l'harmonie de toute la nature, l'être humain compris, et agir en conséquence.

Se libérer de l'envoutement de maya et briser les chaines du Karma signifie réaliser que tous les phénomènes que nous percevons par nos sens sont les éléments d'une même réalité. Cela signifie qu'il faut expérimenter, concrètement et personnellement que toute chose, y compris soi-même, est Brahman. Cette expérience est nommée moksha, ou "libération", dans la philosphie hindoue, et elle est l'essence véritable de l'hindouisme.

L'hindouisme soutient qu'il existe d'innombrables voies de "libération". On ne saurait s'attendre à ce que tous les adeptes soient capables d'approcher la divinité de la même façon, il existe donc divers concepts, rituels et exercices spirituels accordés à différents modes d'éveil. Le fait que beaucoup de ces concepts ou pratiques soient contradictoires ne trouble pas le moins du monde les Indiens, car ils savent que Brahman est de toute façon au-delà des concepts et des images."

Fritjov Capra, "Le Tao de la physique"

 

 


Le bouddhisme

Suite de l'exploration avec le bouddhisme, une philosophie née en Inde il y a 2600 ans...
 

"Si le style de l'hindouisme est mythologique et ritualiste, celui du bouddhisme est psychologique. Le Bouddha ne se préoccupait pas de satisfaire la curiosité humaine touchant à l'origine du monde, la nature de la divinité ou des questions similaires. Il s'intéressait exclusivement à la situation humaine, aux souffrances et aux frustrations des êtres humains. Sa doctrine n'était pas métaphysique mais psychothérapique. Il indiqua l'origine des frustrations humaines et les manières de les dépasser, adoptant les concept indiens traditionnels tout en leur donnant une interprétation psychologique nouvelle, dynamique et directe.

(...)

Immédiatement après son "éveil", le Bouddha exprima la formule des "4 Nobles Vérités", un exposé concis de l'essentiel de sa doctrine, assez proche de l'énoncé d'un médecin qui, en premier lieu, établit la cause de la maladie, puis affirme que cette maladie peut être guérie, et finalement prescrit le remède.

La première Noble Vérité expose la spécificité de la situation humaine, duhka, qui est souffrance ou frustration. Cette frustration vient de notre difficulté à affronter le fait fondamental de la vie, le fait que chaque chose autour de nous est changeante et transitoire.

La souffrance survient chaque fois que nous résistons au flux de la vie et essayons de nous accrocher à des formes fixes qui sont toutes maya, qu'il s'agisse de choses, d'événements, de gens ou d'idées.

Cette doctrine de l'impermanence inclut également l'idée qu'il n'existe pas d'égo, aucun soi-même ne demeurant le sujet inchangé de nos diverses expériences.

Le bouddhisme soutient que l'idée d'un soi individuel distinct est une illusion, juste une autre forme de maya, une notion intellectuelle qui n'a aucune réalité. S'accrocher à une telle notion conduit à la même frustration que n'importe quelle autre catégorie fixe de pensée.
 

La seconde Noble Vérité traite de la cause de toute souffrance, l'attachement.

C'est l'attachement futile à la vie, fondé sur un point de vue fallacieux nommé avidya ou "ignorance" dans la philosophie bouddhiste. Du fait de cette ignorance, nous fractionnons le monde perçu en choses individuelles et distinctes, et tentons ainsi d'enfermer les formes fluides de la réalité dans des catégories fixes forgées par l'intellect.

Aussi longtemps que prévaut cette conception, nous restons condamnés à aller de frustration en frustration.

Essayant de nous accrocher aux choses que nous voyons comme si elles étaient fixes et persistantes, alors qu'en fait elles sont transitoires et toujours changeantes, nous devenons prisonniers d'un cercle vicieux où chaque action engendre une action ultérieure, et où la réponse à chaque question pose de nouvelles questions. Ce cercle vicieux est nommé samsara, le cycle de naissance et de mort, et il est mû par le karma, la chaine sans fin des causes et des effets.

 

"La troisième Noble Vérité affirme que l'on peut mettre un terme à la souffrance et à la frustration. Il est possible de se libérer du cercle vicieux du samsara, de se libérer de l'esclavage du karma, et d'atteindre un état de totale libération appelé nirvana.
 

Dans cette situation, les fausses conceptions d'un moi distinct ont disparu à tout jamais et l'unicité de toute vie est devenue un sentiment permanent.

Le nirvana est l'équivalent de moksha dans la philosophie indienne, et étant un état de conscience au-delà de tous concepts intellectuels, il est indescriptible.
 

La quatrième Noble Vérité est la prescription du Bouddha pour en finir avec la souffrance, l'Octuple Sentier du développement de soi conduisant à l'état de Bouddha."

Fritjov Capra, "Le Tao de la physique"

 

 

L'Octuple Sentier

Les 8 qualités qui mènent à la sagesse selon le Bouddhisme:

1. la compréhension juste

2. la pensée juste

3. la parole juste

4. l'action juste

5. les moyens d'existence justes

6. l'effort juste

7. l'attention juste

8. la concentration juste

 

La compréhension juste est la vision juste de la réalité.

La pensée juste est une pensée dénuée de haine, d'avidité et d'ignorance.

La parole juste consiste à ne pas mentir, ne pas semer la discorde par ses paroles, ne pas parler abusivement.

L'action juste est une action adaptée à la situation et qui ne cause pas de tort à autrui.

Les moyens d'existence justes sont ceux qui permettent de vivre sans tuer et sans faire de mal à autrui, par des moyens justes et honorables.

L'effort juste consiste à développer les conditions favorables à l'éveil, et à éviter ou surmonter les pensées négatives.

L'attention juste est la conscience aiguë des choses, de soi (corps, émotions et pensées), des autres, de la réalité.

La concentration juste est la stabilité de l'esprit libéré de l'agitation, la distraction ou l'excitation, laissant passer les pensées sans s'y attacher.

 

 

 

Un peu plus haut, Capra écrivait que le Bouddhisme était surtout centré sur la psychologie humaine, ce qui en fait un enseignement "horizontal" plutôt que "vertical" ou "transcendental". On retrouve cependant la dimension mystique voire shamaniste dans le bouddhisme tibétain.

Le taoïsme

Le taoïsme est une philosophie apparue en Chine à la même période que le bouddhisme, il y a 2600 ans. Le "Tao" est à la fois la voie, le tout, et la nature de chaque chose. En voici un résumé, toujours avec Fritjov Capra...

 

"Les taoïstes concentrent totalement leur attention sur l'observation de la nature afin de percevoir les caractéristiques du Tao.

L'observation attentive de la nature, jointe à une puissante intuition mystique, conduisit les sages taoïstes à des vues pénétrantes. L'une des plus profondes découvertes fut de réaliser que la transformation et le changement sont des traits essentiels de la nature.

Selon les taoïstes, tous les changements dans la nature sont des manifestations de la relation dynamique entre les pôles opposés yin et yang. Ainsi en arrivèrent-ils à la conclusion que n'importe quel couple d'opposés forme une relation bipolaire où chacun des 2 pôles est lié dynamiquement à l'autre. Il est fort difficile à un esprit occidental de saisir cette notion d'unité implicite de toutes les contradictions. Il nous semble très paradoxal que des expériences et des valeurs que nous avons toujours crues opposées soient en définitive des aspects d'une même réalité fondamentale.

 

L'idée que les mouvements du Tao sont une réaction continuelle entre des énergies opposées, les taoïstes déduisirent 2 règles fondamentales concernant la conduite humaine. Chaque fois que vois voulez arriver à quelque chose disent-ils, commencez d'abord par le contraire.

L'expansion précède la contraction.
Renforce pour affaiblir.
Exalte pour éliminer.
Donne pour prendre.
Cela s'appelle subtile sagesse.

Lao-tseu

 
D'autre part, chaque fois que l'on veut conserver quelque chose, on doit admettre un tant soit peu son contraire:

Courbe-toi et tu demeureras droit.
Vides-toi et tu demeureras plein
Uses-toi et tu demeureras neuf.

Lao-tseu

 
Telle est la règle de vie du sage qui a acquis un point de vue plus élevé, une perspective d'où la relativité et le rapport polaire de tous les opposés sont clairement perçus. Ces opposés incluent les notions de bien et de mal, interdépendantes comme le yin et le yang.

Reconnaissant la relativité du bien et du mal ainsi que de toutes les conventions morales, le sage taoïste ne s'efforce pas d'atteindre le bien mais tente plutôt de maintenir un équilibre dynamique entre le bien et le mal.

 

La spontanéité est le principe d'action du Tao, et puisque la conduite humaine devrait être modelée sur le cours du Tao, la spontanéité devrait également être la caractéristique de toutes les actions humaines. Agir en harmonie avec la nature signifie donc agir spontanément et selon sa véritable nature. Cela veut dire avoir confiance en sa propre intelligence intuitive, inhérente à l'esprit humain, de même que les lois du changement sont inhérentes à tout ce qui nous entoure.

Le sage taoïste agit selon sa sagesse intuitive, spontanée et en harmonie avec son environnement. Il n'a besoin ni de se contraindre, ni de contraindre qui que ce soit autour de lui, mais simplement conforme ses actions aux mouvements du Tao.

Selon Huai Nan tseu, "ceux qui suivent l'ordre naturel suivent le cours du Tao".

Une telle manière d'agir est nommée wu-wei dans la philosophie taoïste, terme signifiant littéralement "non-agir" mais dont le sens est "s'abstenir d'activité contraire à la nature ou à sa propre nature".

Si l'on s'abstient d'agir contre sa nature ou d'aller "contre l'origine des choses", on est en harmonie avec le Tao, et par conséquent, nos propres actions réussiront. Telle est la signification des mots apparemment si énigmatiques de Lao-tseu, "par le non agir il n'y a rien qui ne se fasse"."

Fritjov Capra, "Le Tao de la physique"

THEMES ASSOCIES
Un voyage visuel dans le Tao, une philosophie chinoise de l'équilibre inspirée par l'observation de la nature.
L'univers, l'équilibre, et la sagesse selon la Bhagavad-Gita, texte sacré indien.
Les bipolarités antagonistes ou complémentaires, qui régissent notre état intérieur et notre relation au monde.
Le surf vu comme une métaphore de la vie et de l'équilibre intérieur qui rejoint le Tao, en même temps que la chimie des émotions et l'homéostasie, principe commun à toute vie.
Une approche taoïste et extatique de l'existence, et une analyse implacable du mode de pensée de l'homme occidental-cartésien, coupé de lui-même comme de la nature.
L'unité fondamentale de l'univers et de la matière, avec la métaphore de l'océan, par Stanislas Grof.
Le satori du physicien Fritjov Capra, percevant la danse cosmique des éléments et de la matière.
Le message des Indiens d'Amérique au sujet de la civilisation industrielle, destructrice de la nature comme des êtres humains...