stratégiesplanétaires


EMPIRE AMÉRICAIN
Bush, un président orwellien

Avec la guerre en Irak, Bush a fait revenir le monde au temps des guerres impériales. L'analyse d'un chroniqueur du Washington Post, publiée par Courrier International.

 
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis s'étaient, officiellement du moins, pliés aux restrictions internationales sur le droit de tout pays, y compris eux-mêmes, de déclarer une guerre. Ces restrictions ont souvent été contournées, mais elles ont rarement été purement et simplement ignorées. Et les astuces pour y échapper avaient leurs limites, concrétisées par la sanction de l'embarras. Il y avait au moins cela pour donner un peu de poids réel à ces lois internationales.

Mais Bush a balayé ce sentiment d'embarras d'un revers de main et l'a détourné par un raisonnement proprement orwellien: si les Nations Unies veulent une "raison d'être", a-t-il expliqué, alors elles doivent faire exactement ce qu'il ordonne. Ce qui revient à dire que pour avoir une raison d'être, les Nations unies doivent abandonner leur raison d'être. Puis, voyant que la démonstration ne prenait pas, il a adopté une autre stratégie: je ne tiens pas compte de la volonté du Conseil de sécurité et j'enfreins la Charte des Nations Unies, afin d'appliquer une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU! Dans son discours du 17 mars donnant un ultimatum de 48 heures au pouvoir irakien, toute référence au droit international et aux Nations unies était devenue obsolète. Pour légitimer sa décision de lancer l'offensive contre l'Irak, Bush s'est prévalu d'un argument on ne peut plus simple: "Les Etats-Unis disposent de l'autorité souveraine de faire usage de la force pour assurer sa propre sécurité nationale." Il n'a pas prétendu que l'Irak était à l'heure actuelle une menace pour la sécurité intérieure des Etats-Unis, mais il a donné à entendre qu'elle pourrait le devenir "d'ici un à cinq ans". (...)

Frapper le premier pour prévenir l'offensive d'un ennemi dont les troupes sont massées sur votre propre frontière est une chose. Frapper le premier un pays qui n'a jamais explicitement menacé votre territoire souverain, sauf en réponse à vos propres menaces et sous prétexte que vous soupçonnez ce pays de détenir des armes qui risquent de vous menacer dans cinq ans, est quelque chose de tout à fait différent.
 

George W. Bush en dictateur du monde

Ce que Bush affirme n'est rien moins que le droit des Etats-Unis d'attaquer n'importe quel pays susceptible de les menacer dans cinq ans. Et le droit des Etats-Unis d'évaluer ce risque et d'y répondre comme bon leur semble. Et le droit du président de prendre seul cette décision au nom des Etats-Unis. En bref, le président peut partir en guerre contre quiconque à n'importe quel moment, et personne n'a le droit de l'arrêter. Et il est à supposer que ce droit s'applique à d'autres pays et aux présidents à venir. Toutes les restrictions formelles régissant les modalités d'entrée en guerre sont officiellement caduques. Qu'y a-t-il là d'extraordinaire, me direz-vous? N'est-ce pas de toute façon ainsi que marche le monde? N'est-il pas naïf, voire dangereux, de nier que la force fait loi? En fait, non. La force est importante, et c'est probablement le facteur le plus important, mais dans la pratique, il y a de bonnes raisons pour que même la force et le bon droit s'en remettent parfois aux procédures, au droit et au jugement des autres. A commencer par l'incertitude. (...)

Au regard du pouvoir qu'il revendique aujourd'hui, sans rencontrer d'opposition significative, George W. Bush incarne désormais un dictateur mondial tel qu'on n'en avait pas vu depuis longtemps.
 

Michael Kinsley

Article publié dans Courrier International du 27 Mars 2003